samedi, mai 07, 2011

Se souvenir du père de l'informatique musicale

Le chercheur et compositeur Max V. Mathews, et considéré comme étant le père de l'informatique musicale, est décédé le 22 avril dernier à l'âge de 84 ans. Comme je le supposais à l'annonce de son décès, la nouvelle ne ferait pas les grands titres des journaux. Deux semaines plus tard, il faut bien se rendre à l'évidence, les commentaires, y compris dans les forums spécialisés sur la musique par ordinateur ou de synthétiseurs, sont très rares voire quasi inexistants. Toutefois, bémol positif, le New York Times lui a consacré un article assez conséquent, tout comme pour Milton Babbit disparu à 94 ans (cf : la news du Monde ). Plus surprenant Le Monde ne semblait pas connaître celui qu'on considère comme étant le pionnier de l'informatique musicale, Max V. Mathews. Une méconnaissance qui semble étonnante mais qui serait aussi partagée sur les sites, de France Culture et de France Musique : les recherches avec les moteurs intégrés du quotidien et des deux radios du service public se traduisent par un message laconique indiquant que la recherche n'a pas abouti.
Bien entendu,on ne pensera pas une seconde que Le Monde (et ni France Musique/Culture) méconnaissent le pionnier de l'informatique musicale. En rusant quelque peu, en effectuant une recherche sur Pierre Schaeffer (là, les réponses sont très nombreuses), à l'occasion d'un article sur le Printemps de Bourges 2002, "L'électroacoustique rapproche musiques actuelles et contemporaines", paru dans l'édition du 9 avril 2002 évoque l'exposition d'instruments et de machines conçus au XXe siècle "ainsi qu'une série de débats sur le thème des Pionniers et héritiers des musiques électroniques".
L'article rappelle que le premier concert de bruits a eu lieu le 5 octobre 1948 à 21 heures au club d'Essai de la RTF à Paris. En le présentant, Pierre Schaeffer pose ainsi une question : « Serait-il possible, dans la riche matière des bruits naturels ou artificiels, de prélever des portions qui serviraient de matériaux pour une construction organisée ? » Comme le souligne l'auteur de l'article, Pierre Gervasoni, " Schaeffer aurait voulu définir le sampler (échantillonneur) qu'il ne s'y serait pas pris autrement ". Ceci étant, les fondements de la musique concrète étaient posés.
De même, la musique électronique, verra le jour au sein d'une autre radio, la WDR de Cologne, le 26 mai 1953. Ce jour là sont diffusées des pièces de Robert Beyer et d'Herbert Eimert. Le 19 octobre 1954 la WDR programme deux Etudes électroniques de Karlheinz Stockhausen qui ont été réalisées avec un générateur de fréquences produisant des ondes sinusoïdales. Deux orientations, concrète et électronique, qui s'opposeront assez violemment.


Informatique musicale

En contrepoint, aux Etats Unis, le premier ordinateur IBM à transistors qui voit le jour en 1955 en suscite les recherches. Le compositeur Lejaren Hiller qui revendique comme maître Roger Sessions et Milton Babbit s'intéresse aux processus musicaux, et recherche une filiation entre sérialisme et informatique. Une recherche qui, pour Célestin Deliège (Cinquante ans de modernité musicale, de Darmstadt à l'Ircam) préfigure les travaux menés sur l'intelligence artificielle. Hiller qui est aussi chercheur en chimie à Illinois, estime qu'avec le programme qu'il utilise sur son ordinateur Illiac il va pouvoir créer une oeuvre musicale. Cette suite créée en 1956 qu'il dénommera Illiac sera retranscrite pour un quatuor à cordes. Célestin Deliège rappelle qu'Hiller sera chargé d'organiser un laboratoire de musique expérimentale à l'Université d'Illinois puis de Buffalo. Son activité musicale se traduira par des pièces instrumentales, électroniques ou pour ordinateur. Notamment la Computer Cantate créée en 1963. De même, C. Deliège confie que selon Manning, le matériau des deux oeuvres de Hiller aurait également servi pour le HPSCHD de John Cage.
En parralèlle, mais dans une toute autre démarche, alors qu'il est employé près de New York par les Bell Laboratories, Max Mathews est beaucoup plus concerné par la technologie naissante. Dès le début des années 60, il met au point la conversion numérique d'un signal électronique. Les bases de l'informatique musicale sont ainsi jetées par Max V. Mathews. Il sera aidé ensuite avec un collaborateur de poids, Jean-Claude Risset, pour définir ce qu'on appellera par la suite la synthèse sonore. Il mettra au point la fameuse série des programmes modulaires Music (notamment Music V, et Music 10 qui était utilisé à l'Ircam au début des années 1980). Et ses programmes de synthèse et de traitement du son par ordinateur seront aussi une des bases du lancement de l'Institut de recherche et de coordination acoustique/musique (Ircam) fondé par Pierre Boulez à Paris en 1976. Il faut se souvenir qu'à l'époque, comme le remarquait Laurent Bayle, directeur de l'Ircam de 1992 à 2001, : « Electronique et musique concrète ont été dépassées par l'usage de l'informatique dès la fin des années 1960 et le pari de l'Ircam a consisté à miser sur ces bases américaines à une époque où personne ne croyait en l'avenir musical de l'ordinateur. »

Pour terminer, rappelons que le MIT’s new Media Lab Complex a célébré le 5 février 2011 cinquante ans de musique et de technologie (Celabrating 50 Years of Music and Technology @ MIT) sous l'impulsion de Joseph Paradiso, et Todd Machover, qui fut directeur de la Recherche à l'Ircam au début des années 80. Parmi les participants comme Miller Puckette (qui a créé Max MSP), Eran Egozy (co-fondateur d'Harmonix), des professeurs connus dont Marvin Minsky et Barry Vercoe, il y avait, bien entendu, Max Mathews connu, souligne le site de présentation, comme étant le father of computer music.

Des liens 


un très court extrait (couverture et table des matières) de son livre The Technology of Computer Music qu'il avait écrit avec la collaboration de Joan E. Miller, F.R. Moore, J.R. Pierce et Jean-Claude Risset. Edité par le M.I.T. Press (Masschusetts Institute of Technology) en 1969, cet ouvrage fondamental avait été à nouveau imprimé en 1974 et en 1977. C'est une bible. Le livre faisait partie de l'importante documentation donnée par l'Ircam quand j'ai fait le stage de 40 jours durant l'été 1981.

Quand Jean-Claude Risset avait reçu la médaille d'Or du CNRS, il avait fait un long discours où il avait évoqué son travail auprès de Max V. Mathews. Lisez-le, c'est passionnant.
Le compte rendu de la manifestation 50 Years of Music and Technology @ MIT a été publié sur le site du MIT.

Dans les excellents portraits Polychromes du GRM, il y a celui de Max V. Mathews. Il est notamment interviewé sur son travail, sur la création du premier convertisseur Analog/Digital, on peut entendre Bicycle Built for Two qui a été composé en 1961ainsi que Silver Scale composé en 1957 sur un IBM 7094.

2 commentaires:

Webster a dit…

merci pour cet article et le lien du discours de Risset est vraiment très inspirant!

musikgear.com a dit…

très bel article ! Merci, je ne connaissais pas.
Tristan du 61

;-)