mardi, septembre 22, 2009

Calculer et explorer la microtonalité



Un post pour redonner vie à ces Chroniques de la Mao quelques peu délaissées ces derniers mois en raison d’un emploi du temps plutôt chargé ces derniers temps.
Pour redémarrer les chroniques, je souhaitais aborder les calculs liés aux fréquences microtonales. Comment calculer avec une calculatrice un quart de ton, un huitième de ton, un tiers de ton, un cinquième de ton voire un seizième ou trente troisième de ton ?
Pour les quarts et huitièmes de tons, le tableau réalisé par Marc Battier de l'Observatoire Musical de France, un membre actif aussi de l'équipe pédagogique de l'Ircam, donne une conversion des fréquences tempérées d’un 1/4 et d’un 1/8e de ton, avec une colonne avec les fréquences exprimées en hertz, à partir de la note exprimée en 1/2 tons, d’un 1/8e de ton (ce qui est logique), du 1/4 de ton mais aussi de la valeur de la notation midi.

Mais pour les autres ajustements ? Il y a, justement, les planches (A, B, C) proposées par Jean-Etienne Marie dans son ouvrage très documenté L'Homme Musical paru chez Arthaud. Pour les utiliser, il suffit seulement de multiplier l'indice de progression par la fréquence de base que l'on souhaite. Ces ajustements peuvent se révéler très utiles à partir d'un logiciel comme Absynth de Native Instruments. Même chose avec l'émulation de l'Ems Synthi Aks, l'Ems Avs ou comme le KX-Synth-X16 (émulation avancée, gratuite, plus qu'excellente, pour PC de l'EMS VCS3), qui permettent d'afficher les fréquences en hertz de façon très précises et sur ses trois oscillateurs. A noter que le KX-Synth-X16 offre la possibilité d'accorder séparément chacun des trois oscillateurs avec des tempéraments différents.
Ainsi, Jean-Etienne Marie évoque les travaux de Julian Carillo et présente les progressions propres à chaque tempérament, les diverses échelles tempérées établies par l'élève de Carillo, Novaro. Elles vont du 2e aux 53e d'octave. On peut, par exemple, obtenir les 17/31 d'octave. Mais aussi, Jean-Etienne Marie donne les clés pour faire soi-même les calculs.

Avec un tableur comme Excel, c’est relativement simple. Dans le cadre du système tempéré de demi tons, sur la base du La 440 Hz, pour obtenir la fréquence du Ré, cette formule =EXP(LN(2)/12)^5*440, soit le résultat de la racine douzième de 2 élevé à la puissance 5 et multiplié par 44O. Ce qui donne l'indice de progression de 1,059463, élevé à la puissance 5 on obtient 1,3348398 et qu'on peut arrondir à 1,33484 et qu'on va multiplier par 440 ce qui va donner 587,3296 Hz. Ce qui correspond bien au Ré 4 (587,33 Hz).
Voyons maintenant les 1/8e de ton ce qui va correspondre à 48 hauteurs par octave (demi ton = 12, quart de ton = 24, huitième de ton = 48, seizième de ton = 96, etc).
La formule pour calculer le 5/8e de ton sera =EXP(LN(2)/48)^5*440
d'où un résultat de 1,011454533 qui élevé à la puissance 5 donne 1,07487334 qui multiplié par le La 440 affiche 472,94427 Hz. En regardant le tableau créé par Marc Battier, on voit que la fréquence de 472,94 correspond bien à la cinquième hauteur (ou à la cinquième touche d'un clavier) après le 440 Hz et se traduit bien comme étant un huitième de ton (la#h3).
Bien entendu, on peut approfondir ces calculs, et découvrir d'autres échelles pour explorer les espaces de la microtonalité. On pourra ainsi calculer la gamme par ton chère à Debussy, travailler sur des 1/3 de ton, 1/7 de ton, etc. A ce stade, il ne sera pas inutile de se plonger dans la lecture de la page découvertes d'échelles inouïes proposé par le site CentreBombe.org. En revanche, je ne partage pas vraiment pas du tout la page consacrée à Pierre Boulez où j'ai rarement lu une telle haine concentrée tant sur le créateur de l'Ircam que sur l'institut. Estimer que Répons est une oeuvre ratée me laisse sans voix. Mais passons et restons sur cette page qui donne des clés aussi pour les calculs de tempéraments inhabituels.

Mais justement, on ne dispose pas forcément d'un ordinateur sous la main pour calculer une fréquence donnée. Avec les nouveaux outils comme l'Iphone, on a à disposition la calculatrice qui, mise en position horizontale, devient scientifique. Certes.
Mais comment réalise-t-on les opérations citées plus haut ? Comment extrait-on une racine 12e de 2 ou un tempérament bien plus complexe ? Pour ceux qui auraient oublié, un petit rappel :

Avec la calculatrice de l'Iphone pour calculer en 5/8 de ton, il faut inscrire 2 puis sélectionner la touche
et ajouter 48.
On obtient le résultat 1,014545, on sélectionne la touche pour élever à la puissance 5 et dont le résultat donne 1,074487 qui, multiplié par 440 donnera la fréquence 472,944 Hz. Simple, non ?

Il y a aussi une autre méthode de calcul que celle de la racine 12 de 2 pour le système tempéré. On peut utiliser celle des cents qui correspond à découper logarithmiquement en 100 parties chacun des 12 demi-tons. La racine 1200e de 2 équivaut à 1,00057778950655. Si on souhaite réaliser un ajustement microtonal de +50 centièmes de demi-tons (1/4 de ton), il faut multiplier la fréquence de cette note (440 Hz) par la puissance cinquante du multiplicateur correspondant à un centième de demi-tons, en utilisant le symbole ^ ou comme symbole de puissance ce qui donne 440 x 1,00057778950655 ^ 50 = 452,89 Hz. La même opération mais avec la puissance ^ 25 donne la valeur du LA augmenté d'1/8e de ton soit 446,3999 Hz.

A noter qu'on trouve en application pour l'Iphone deux calculatrices intéressantes. La première, la Calc Zero, de Uplake Media LLC qui vaut 3,99 euros, a l'avantage d'afficher l'ensemble du calcul :



















Tandis que la SC-323PU de Thomas Öllinger, au prix de 2,39 euros, propose une documentation conséquente pour sa programation :

Des outils qui pourront être utiles pour calculer les principaux systèmes microtempérés: qui ont été recensés par Franck Jedrzejewski dans son dictionnaire des musiques microtonales :

Système pantaphonique (n = 5)
5 degrés par octave, environ 240 cents
Slendro javanais.

Système heptaphonique (n = 7)
7 degrés par octave, environ 117 cents
‘Are ‘Are de Mélanésie, Thaïlande aussi.

Système décimal (n= 10)
Intervalle de base 120 cents.

Système tempéré (n = 12)
Intervalle de base = 100.

Système en 15e d’octave (n=15)
Utilisé par les compositeurs américains de l’Intonation Juste.

Système en 17e d’octave (n=17)
Environ 71 cents
Utilisé par des compositeurs contemporains.

Système en tiers de ton (n=18)
Imaginé pat Ferrucio Busoni dès 1906
Nombreux compositeurs utilisent ce système mais mélangés à d’autres micro-intervalles
Maurice Ohana utilise ce système.

Système en 19e d’octave (n=19)
Utilisé par les compositeurs américains dont John Catler
Meilleure approximation du système mésotonique au tiers de comma de Francisco Salina.
Intervalle de base vaut environ 63 cents.

Système en quarts de ton (n=24)
Intervalle = 50 cents.

Système en 26e d’octave (n=26.

Système en cinquièmes de ton (n=30)
Etudié et utilisé par Jean-Etienne Marie et Aloïs Haba.

Système tricesimoprimal (n=31)
Intervalle de base vaut environ 39 cents.

Système des sixièmes de ton (n=32)
Intervalle de base vaut environ 33 cents.

Système en 41e de ton (n=41)
Paul Von Janko le considérait comme étant le meilleur système entre 12 et 53 sons par octave.

Système en septièmes de ton ou 42e d’octave (n=42)
Etudié et utilisé par Jean-Etienne Marie et Pierre Bartholomée
Intervalle de base vaut environ 29 cents.

Système en huitièmes de ton (n=48)
Utilisé par des compositeurs comme J.E. Marie, P. Dusapin
Intervalle de 25 cents.

Système en 53e d’octaves (n=53)
Ou système de Holder, système très ancien.
Correspond à la division du ton en 9 commas
Soit 5 commas pour un demi-ton chromatique et 4 commas pour un demi-ton diatonique.
Le gamme chromatique constituée de cinq tons et de deux demi-tons diatonique possède 53 commas, 5*9+2*4=53 commas
Le comma de Holder vaut environ 23 cents, ce système est une bonne approximation du système pythagoricien.

Système en douzièmes de ton (n=72)
Utilisé par quelques compositeurs du 20e siècle.
L’intervalle de base vaut environ 17 cents.

Système en seizièmes de ton (n=96)
Utilisé entre autres par Luigi Nono et compositeurs contemporains
Intervalle de base vaut environ 12,5 cents.

Système en 24e de ton (n=144).

Petite remarque :
Le compositeur américain Brian McLaren a classé en trois catégories les systèmes microtempérés. En premier ceux qui se rapprochent de la quinte naturelle, de rapport 3/2. Ce sont les systèmes à 12, 19, 22, 24, 27, 29, 31, 34, 36, 38, 39, 41, 43, 45, 46 et 48 degrés par octave. Dans ces systèmes, note-t-il, les triades consonantes sont nombreuses et facilitent l'harmonie traditionnelle. En second, il y a les systèmes qui n'ont pas de quintes reconnaissables et comprennent les systèmes à 6, 8, 9, 11, 13, 16, 18 et 23 degrés par octave. Ces derniers ont comme caractéristiques d'être fort dissonnants et qui appellent une harmonie atonale. Enfin, il y a les systèmes intermédiaires, différents des deux catégories précédentes.



A suivre dans le prochain post avec quelques outils logiciels comme les synthés virtuels l'Ems Avs, le KX-Synth-X16 monophonique et sa V2 polyphonique pour PC, et le XILS3 pour PC et Mac qui permettent d'explorer les espaces fréquentiels de la microtonalité. On peut aussi ajouter Absynth qui permet sur chaque note d'effectuer un accordage différent.

lundi, janvier 26, 2009

Lumina Magica de Bernard Reeb


Une des caractéristiques que j’apprécie dans Lumina Magica, c’est le ressac du début du premier thème, Sensation of Breath, avec ce flux et reflux quasi récurrent. J’allais dire perpétuel, mais bon, on ne va quand même pas introduire dès le début de l’écoute une telle notion. Alors, découverte, d’espaces intersidéraux, découverte d’autres galaxies ? Non pas. Invitation aux voyages intérieurs, oui, vraisemblablement. Dans le noir, on perçoit toute cette finesse des grains sonores, un peu comme justement comme quand le ressac s’étire, laissant sur la face noire de la roche, des myriades de filets blancs, qui s’estompent. Ici, on est dans le domaine du liquide avec ces sons qui filent à l’inverse abyssale, de l’extrême grave au registre de chœurs, un peu à l’instar d’un Alfred Manessier avec son vitrail fétiche, la Grande Bleue qu’il avait lui-même baptisé, avec cette descente du haut en bas, de l’abysse à la surface, à l’air libre. Pour respirer. Et puis, ces rythmes qui ponctuent, sorte de gazouillis de cétacés amoureux ou de mouvements périodiques des machines du capitaine Nemo, cette vaste symphonie aquatique, n’est-ce pas l’appel de découvertes encore possible sur notre bonne vieille planète terre. Justement, Searching for Heaven, nous ramène dans des contrées plus classiques, on sent cette recherche des clés qui vont permettre l’accès à ce lieu mythique que nous recherchons tous. Les accords, tout en noblesse, nous y invite. Ils évoluent, sont quasiment laminés, apparaissent, disparaissent, sortes de chœurs grégoriens, avant cette onde qui introduit de profondes harmonies, d’accords qui pourraient prendre leur envol dans une cathédrale, et cette onde, aquatique, qui ponctue, évanescente, et qui rappelle au gardien des lieux qu’il n’est qu’un simple pêcheur.L’introduction d’Encounters est superbe. Où la synthèse rencontre le grand orgue, devient majestueuse, se décline en tirettes harmoniques, se dévoile selon leur rang respectif. Magique. C’est l’hommage de Robert Moog, via Bernard, à Olivier Messiaen. Mais aussi, à ce fabuleux organiste qui était Jean Guillou au grand orgue de Saint-Eustache à Paris. A dire vrai, cette pièce dépouillée, qui peut vivre par elle-même, est ma préférée car ce travail harmonique complété par un jeu sur les couleurs du timbre est en constante évolution. Bon, là Into the deep sky, c’est ce que je disais, c’est une descente aquatique, c’est Jules Verne, c’est vingt mille lieux sous les mers, c’est l’inverse abyssale d’Alfred Manessier. Tous ces sons en contrepoint du chœur sombre, ils sont évanescents, liquides… Il ne faut jamais se fier aux compositeurs, aux créateurs. Ils mettent sciemment des fausses pistes. Non, nous sommes bien dans le Nautilus, et on entend bien le rythme des machines, c’est léger, présent, aérien. Bah oui, car rien n’empêche le Nautilus de Bernard Reeb à quitter l’océan, à se laisser porter par le chœur qui se sent aspiré vers la surface, décolle pour la stratosphère porté par la puissance des oscillateurs. Le Nautilus rencontre le ciel. Magique, non ? Flux, reflux. Bright Flow, dont le chant majestueux se déploie, est strié par des stridences cuivrées , au timbre quelque peu sali, contraste avec la pureté des timbres entendus. Enfin, en note finale, le retour à l’évanescence.

PS :à bien y regarder, la pochette me confirme que l'ami Bernard Reeb s’est inspiré du ballet lumineux des créatures des profondeurs.
Plus sérieusement, les timbres pour Enconters, sans rentrer dans les secrets de fabrication, ont été faits totalement avec le Moog Modular V2 d'Arturia. Ce Moog Modular, avec un patch tout simple comme base de départ, il le modifie légèrement et il le fait sonner comme jamais. Sinon, pour ceux qui connaissent les albums de Bernard Reeb, il y a, bien entendu, des timbres réalisés avec Absynth de Native Instruments. C'est normal, d'ailleurs car Bernard est un sorcier sur cet instrument.